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Monsters Factory

9 juillet 2012

Master Branq

Je me confesse, j'ai saboté le broyeur de la cantine.

  • "Alors, Jean-Kevin, pour ta cuisine, je te mets un zéro - parce que je ne peux pas descendre plus bas. Le riz pas cuit, les pâtes molles et les patates qui baignent dans l'huile, ça va pas très bien avec l'explosion de rate que tu as servie. A la rigueur, la couche verdâtre sur les yaourts poilus, c'était le plus marrant."

La cantine était déserte, perdue dans l'immensité d'un silence qui ne lui ressemblait guère. Alphonse Jizbert, goûteur de bouffe collective professionnel, attrapa virilement un plateau qu'il orna de moult couverts. "Spouitch !" s'écria la purée jaunâtre, encore parsemée de flocons déshydratés, lorsqu'elle se déposa lourdement sur la porcelaine. Sous son bonnet de plastique, la cantinière étira un sourire carnassier, réhaussé par la terreur paralysante qu'inspirait un strabisme divergent. Il déglutit avec difficulté lorsqu'elle le servit en viande puis, fuyant le regard fou de la créature, se saisit d'un dessert à l'aspect gélatineux dans lequel flottait une sorte de fruit dont l'origine ne pouvait être clairement déterminée. Prenant garde à ne pas renverser le contenu de son plateau, il se précipita vers une table isolée à laquelle il s'installa avec soulagement.

Versant l'eau javélisée dans son verre, il s'attarda à contempler la purée qui, il l'aurait juré, s'était évertuée à sortir de l'assiette en rampant. D'un coup de fourchette bien placé, elle rentra bien sagement à la maison mais se cramponna tant à l'assiette qu'il devint impossible d'en extraire la moindre parcelle. Curieux, mais aussi affamé, Alphonse retourna son assiette dont le contenu, sembla-t-il, ne connaissait pas les lois de la gravité. De fait, il n'osa pas toucher à sa viande dont les couinements n'étaient pas sans rappeler ceux de sa belle-mère dans la chambre voisine. La faim lui tenaillant toujours le ventre, il trempa avec courage sa cuillère dans le liquide vaseux au fruit flottant. En vain. Et, pour lutter contre sa frustration trahie, il ne trouva d'autre moyen de contestation que fourrer le pichet de pain et bloquer le broyeur grâce à l'astucieux stratagème de glisser sa cuillère dans sa purée.

Alphonse Jizbert était devenu un rebelle, un véritable anarchiste, un lapideur de petits-suisses. Un sale gosse insubordonné qui déglingue le matériel avec jouissance. Alphonse Jizbert était devenu la terreur des cantines, le terroriste des patates trop cuites.


Du riz pas cuit, des pâtes en bouillie, de la purée accrochée dans l'assiette, des patates qui baignent dans l'huile, des saucisses fromagées au bacon suitant, des omelettes caoutchouteuses, des entrées douteuses, des desserts qui n'inspiraient pas plus sauf s'ils venaient d'une grande surface... Autant de raisons de s'insurger. Indignez-vous ! répétait Stéphane Hessel en brandissant, chevaleresque, son rôti de boeuf au bout de sa fourchette. Si la bouffe commence à bouger toute seule, c'est qu'il est temps de s'insurger.

 

Pennywiseevil

Ronald MacDonald, furieux, battu à plates coutures


 

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